Kama Sutra : 5
Leurs dieux n'étaient pas meilleurs. Indra, le dieu suprême de la guerre, n'hésitait pas à séduire les épouses des hommes en prenant la forme de leurs époux. On pouvait donc les prendre au mot quand elles racontaient que l'expérience avait été "divine".
L'épouse d'Indra, Indrani, sans doute rebutée par ses activités illégitimes et son incapacité à les reproduire à la maison, lui adresse ce reproche non dénué d'ironie dans le Rig veda, l'un des écrits les plus révérés de l'hindouisme :
- Il n'est point maître, celui dont l'amour se prononce avec mollesse. Le maître est celui qui brise hardiment la résistance de la pudeur.
D'autres divinités se montraient toutes aussi sensuelles. Brahma aurait désiré Parvati alors même qu'il célébrait son mariage avec Shiva.
Le Bhavisya purana rapporte que la vénérable trinité -Brahma, Vishnu et Shiva- vit un jour Lord Atri, fils de Prajapati, assis sur une rive du Gange avec son épouse Anasuya.
Atri était plongé dans une méditation et les trois divinités, s'approchant d'Anasuya, furent immédiatement consumés de désir. Brahma s'adressa ainsi à elle :
- Offre-toi à moi ou le souffle de ma vie sera étouffé, car tu m'as rendu fou de passion.
Anasuya résistant à leurs avances, ils essayèrent ensemble de la violer, jusqu'à ce qu'elle les maudisse.
La dame était certes en droit de maudire les dieux obsédés, mais elle devait savoir aussi que Kama, dieu de l'Amour, appartenait depuis toujours au panthéon hindou.
L'Artharva veda l'exaltait comme Dieu suprême et créateur : Kama est né le premier. Ni dieux, ni pères, ni hommes ne l'ont jamais égalé.
Le Rig veda lui rend un hommage similaire, le recommandant au culte sur la base de sa supériorité aux dieux : "Puisse Kama, en dirigeant sa flèche ailée de douleur, affûtée par l'attente et orientée par le désir, te transpercer le cœur."
Selon la mythologie hindoue, seul Kama avait le pouvoir de distraire Shiva de sa profonde méditation en excitant ses pensées amoureuses sur Parvati. La légende raconte que Shiva, irrité d'une telle interruption, réduit Kama en cendres et conseilla ensuite à Parvati de prendre un autre compagnon. Elle répondit :
- Maintenant que Kama a été tué, que ferais-je d'un compagnon ? Seul Kama peut susciter une émotion forte comme dix millions de soleils.
Lorsque Shiva réitéra son offre, Parvati demanda que Kama soit ramené à la vie pour réchauffer le monde, et c'est ainsi que Kama fut ressuscité.
Les ermites de l'Inde ancienne étaient donc loin de cultiver la chasteté, et Vatsyayana, en cela, représentait dignement la lignée des sept sages qui l'ont précédé. Mais c'est sa passion dans la recherche et la pratique du plaisir qui donne au mahamuni sa place particulière.
On a voulu retenir du Kama Sutra un répertoire de positions, mais sur quoi s'ouvre le livre ? Sur l'exposé raisonné et sans passion de la légitimité du désir : quatre objectifs doivent guider l'homme intelligent. Les trois premiers sont le Dharma ou "bonne conduite", l'Artha ou "recherche de la prospérité" et le Kama ou "poursuite du désir". S'ils sont poursuivis harmonieusement et non exclusivement, dans une vie équilibrée, le Moksha ou "le salut", quatrième et dernier objectif, s'ensuit naturellement.
À l'instar de la nourriture, les plaisirs sustentent le corps, ils récompensent tout naturellement la poursuite du Dharma et de l'Artha. En quelque sorte, un homme bon peut se permettre quelques incartades morales et un homme riche peut se les offrir.
Le désir, légitimé dans sa pratique et son assomption, mérite-t-il cependant tant d'attention, puisqu'il est basé sur des pulsions que même le règne animal sait traiter sans manuels ?