La foire battait son plein.
Le plus ancien des disciples du maître lui demanda s’il voulait bien lui permettre d’y aller faire un tour avec ses condisciples.
- Mais certainement, dit le sage, c’est là l’occasion idéale de prolonger l’enseignement de la pratique.
Le sage se dirigea droit vers le tir, une des grandes attractions de la foire : des prix importants étaient offerts à tous ceux qui mettaient dans le centre de la cible.
Quand le maître, accompagné de ses disciples, arriva devant le stand, les citadins l’entourèrent. Lorsque le sage prit l’arc en main puis trois flèches, la tension monta.
Le sage déclara :
- Observez-moi attentivement.
Le sage tendit son arc, visa et tira. La flèche tomba très loin du but. La foule fut secouée d’un violent éclat de rire et les élèves du sage s’agitèrent, mal à l’aise. Le sage se retourna et fit face à l’assistance :
- Je viens de vous montrer comment tire le soldat. Il manque souvent sa cible et c’est ainsi qu’il perd les guerres. Au moment où j’ai décoché la flèche, je m’identifiais au soldat et me disais : je suis un soldat, je tire sur l’ennemi.
Il prit la seconde flèche, la glissa dans l’arc et serra la corde entre ses doigts. La flèche tomba court, à mi-chemin de la cible, dans un silence de mort.
- Ce que vous avez vu là, dit le sage à la compagnie, c’était le tir d’un homme trop impatient pour bien tirer et qui, de surcroît, ayant manqué son premier coup, est trop ému pour pouvoir se concentrer. La flèche est tombée court.
Le sage se retourna nonchalamment, visa et décocha sa dernière flèche. La flèche atteignit le centre même de la cible. Avec calme, il examina les lots, en choisit un qui lui plaisait et fit mine de partir. Une clameur monta de la foule. Un homme s'avança :
- Maître, nous aimerions savoir lequel a tiré le troisième coup ?
- Celui-là ? Oh, c’était moi.