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Le choix de l'amour

Autrefois, dans un village régnait une grande effervescence : le chef venait de mourir subitement, ne laissant aucune instruction au sujet de sa dépouille.

En effet, à cette époque lointaine, chacun pouvait choisir librement ses funérailles. Ainsi, on pouvait offrir son corps aux quatre vents afin qu'il soit dévoré par les charognards, ou donné en pâture aux loups qui peuplaient les forêts. On pouvait également opter pour l'incinération, la mise en terre ou la momification.

La seule difficulté résidait dans le fait que la cérémonie mortuaire devait bien correspondre au souhait du défunt. Si ce n'était point le cas, il pouvait, de l'au-delà, exercer son courroux et de grandes malédictions s'abattaient alors sur le pays tout entier.

Le chef du village, quant à lui, n'avait guère eu le loisir d'exprimer quoi que ce soit au sujet de sa mort et les notables se retrouvaient face à un problème épineux. Ils risquaient d'encourir les foudres du ciel mais surtout, à cause de leur impuissance à prendre la bonne décision, de perdre pouvoir et respectabilité. Ils se résolurent, en désespoir de cause, à solliciter l'avis du roi. En grande pompe, ils se rendirent à la cour et fort contrits, firent part de leurs inquiétudes.

Le monarque, bienveillant, les écouta et, réfléchissant longuement, déclara :

- La solution me paraît fort simple : il suffit de découper le cadavre de votre regretté ami en cinq parties égales et à chacune vous offrirez un rituel différent, ainsi vous serez sûrs de ne point lui déplaire.

Tous convinrent que c'était là une excellente suggestion et remercièrent en chœur le roi pour cette leçon de sagesse. De retour au village, ils furent toutefois, confrontés à un problème insoluble. En effet, qui, parmi eux, allait être assez dévoué et courageux pour découper le corps ?

Finalement, nul ne voulant se livrer à cette sinistre besogne, ils allèrent frapper à la porte de la veuve éplorée, espérant ardemment qu'elle accepterait cette redoutable tâche.

Elle écouta en silence leur étrange requête et, d'une voix calme, répondit :

- Je ne vous ai pas attendus, messieurs. La dépouille de mon époux commençait à se gâter et avec mes enfants, nous avons décidé de suivre l'inclination de notre cœur. De fait, nous l'avons enterré au fond de notre jardin, sous un arbre, là où il aimait tant se reposer. Sur sa tombe, nous avons déposé mille fleurs fraîches en signe d'espérance. Ne soyez pas inquiets, nobles seigneurs, nous n'avons point déshonoré sa mémoire.

Grandement soulagés, les hommes s'en retournèrent chez eux. Mais, secrètement, ils louèrent la bravoure de cette femme qui, loin de se plier aux injonctions du dogme, avait choisi la voie admirable de l'amour.

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