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La compassion, l’auto-compassion : pour traverser et transformer les épreuves…

Dans un monde de plus en plus difficile à vivre, chaque individu est soumis à rude épreuve et se trouve souvent face à lui-même pour résoudre de nombreuses difficultés. Dans un monde qui a plutôt tendance à glorifier la force, la puissance, la confrontation comme règle des relations, le dépassement du dépassement de soi et des autres… il paraît sans doute anachronique de parler de compassion et donc encore plus d’auto-compassion.

La violence sous toutes ses formes : terrorisme, discrimination, clivages, conflits sociaux, formes de déni et déshumanisation des rapports sociaux ne nous amènent pas à nous pencher facilement sur nous-mêmes et sur les autres d’une façon paisible et avec bienveillance. Cette violence grandissante qui a fait récemment un si grand nombre de victimes touche pourtant beaucoup de personnes. Cependant, dans le même temps, nous avons aussi entendu parler dans différentes circonstances par les médias de la notion de "saturation compassionnelle" pour expliciter une montée grandissante de l’indifférence des populations prétendument trop sollicitées par l’horreur ambiante.

Dans une société qui a développé le culte de la réussite à son plus haut niveau, souvent de façon aveugle et impitoyable, et sans se soucier des conséquences quand la réussite n’est pas au rendez-vous, la compassion n’est pas la bienvenue et n’est pas considérée comme une qualité nécessaire à la performance… Or, la réussite n’est pas toujours là de façon uniforme : nous faisons des erreurs, nous nous trompons, nous vivons des moments difficiles, des échecs, des épreuves parfois très éprouvantes, à la limite du supportable, et parfois insupportables…

Dans l’environnement professionnel, la dureté des rapports s’est également accentuée. L’accélération permanente des rythmes d’activité, la sur-sollicitation et la superposition des tâches et des objectifs créent une dynamique de stress quasi-permanente et pousse chacun vers la recherche incessante de l’excellence et de la performance. Beaucoup d’individus s’épuisent, se perdent, et perdent leur confiance en eux.

En 2016, 72 % des salariés et 79 % des managers évaluent leur niveau de stress à 7 et plus sur une échelle de 0 à 10, contre respectivement 38 % et 41 % en 2014. Pour les 15 États membres de la Communauté européenne le coût lié au stress est estimé à 20 milliards d’euros par an, soit 10 % de la somme globale dédiée aux soins de santé.

Dans les situations qui poussent les individus à l’épuisement, une des manifestations aggravées de l’état de la personne est la perte de l’estime de soi, la perte de confiance dans ses compétences. Cette image très dégradée de soi se transforme souvent à travers un processus progressif d’auto-dévalorisation, qui peut aller jusqu’au sentiment de totale inutilité et conduit parfois au suicide. La dureté des chocs, de la douleur, peut nous mettre à terre au sens propre comme au sens figuré. Faut-il à tout cela rajouter sa propre auto-violence, auto-jugement, autodestruction ?

La compassion, qu’est-ce c’est ?

Son origine vient du latin cum et pati, en latin ecclésiastique compassio, souffrir avec. Une autre définition venant du questionnaire philosophique de Comte Sponville est "souffrir de la souffrance de l’autre". Il y a dans la compassion de l’empathie, une dimension différente de la simple pitié. Chez certains philosophes, elle est reconnue comme une caractéristique essentielle de notre humanité (Jean-Jacques Rousseau, Emmanuel Levinas, Paul Ricœur). D’autres auteurs et notamment Nietzsche ont à l'inverse férocement dénigré la notion de compassion.

Si la compassion est un affect, elle n’est pas simplement une passivité, elle est une capacité qui révèle des capacités : affect suscité par autrui, elle vise la relation, se met dans les actes. Cet affect nous met dans une proximité singulière avec la souffrance d’autrui, et pourtant une souffrance inatteignable. La compassion paraît comme un mouvement spontané, surgissant en nous de façon involontaire, voire incontrôlable. Pourtant, elle n’est pas uniquement subie : l’émotion instantanée de la peine doit pouvoir être relayée par d’autres facultés pour devenir une attitude de compassion.

Agata Zielinski

Il y a dans ce sentiment, cette inclinaison, quelque chose de gratuit, comme un don.

L’université de Stanford en Californie a créé un laboratoire inspiré par le Dalaï Lama qui étudie les effets de la compassion dans le domaine des neurosciences, de la psychologie et de la neurochirurgie. Des recherches pointues ont montré l’impact de la méditation associée aux pratiques de la compassion sur la réduction du stress sur des groupes de plusieurs personnes. Dans la compassion, il y a donc à la fois une perception de la douleur de l’autre et un sentiment, une forme de solidarité.

L’auto-compassion, qu’est-ce que c’est ?

L’auto-compassion n’est pas la complaisance vis-à-vis de soi-même, ni une expression de narcissisme ou d’égocentrisme stérile et facile. Il ne s’agit pas de pleurer sur soi… et de se considérer comme une victime, quel que soit le contexte. L’auto-compassion n’est pas centrée sur le regard porté sur soi, en termes de simple image. Elle mobilise une qualité de bienveillance vis-à-vis de soi-même, une vraie conscience de ce que nous vivons, dans les moments les plus durs. L’auto-compassion est un concept différent de celui d’estime de soi. C’est une aptitude à être dans une relation de bienveillance avec soi-même, à développer un regard différent du jugement catégorique et implacable lorsque nous sommes confrontés à l’adversité, la défaillance ou l’échec.

L’auto-jugement négatif paralyse souvent toute possibilité de remise en cause réelle et profonde. Lorsque nous sommes confrontés à ce qui cause cette pression intérieure négative, nous pouvons la saisir comme une information importante et digne d’être écoutée. Il y a dans l’auto-compassion un principe d’acceptation de ce qui est.

Pourquoi est-elle utile ?

Ce qui nous rend humain est l’expérimentation à la fois des émotions positives et la confrontation à nos propres limites, faiblesses, imperfections, et aussi à la souffrance. C’est dans ces vécus contrastés que nous pouvons apprendre à développer une conscience de ce que nous sommes, de ce que nous vivons et de ce qui impacte les autres par nos erreurs. Ce temps d’empathie avec soi-même est nécessaire pour puiser la force de vivre l’épreuve, de l’accompagner, de s’accompagner, et de pouvoir se remettre en question lorsque cela est nécessaire.

L’objectif n’est donc pas d’éradiquer tout type d’émotions et de sentiments comme certains gourous technoscientifiques le désirent ardemment en pensant que le monde sera plus équilibré en ayant recours à la mobilisation d’un seul type de cerveau logique et purement analytique aux commandes, mais de laisser la place à des émotions, des orientations psychiques et des comportements porteurs de possibilité d’auto-guérison et de prise de conscience de sa fragilité, de sa propre vulnérabilité.

Dans d’autres approches de l’être humain, différentes de celle de l’occident, les notions de bienveillance avec soi-même, voire d’amour de soi-même, sont considérées comme des bases nécessaires à la survie, à la vie elle-même et à l’acceptation de l’autre. Être en guerre perpétuelle avec soi-même, en colère et dans la frustration d’une souffrance ressentie, mais non acceptée, provoque des dommages collatéraux bien plus graves que la douleur elle-même. Les émotions négatives prolongées portent atteinte au système immunitaire et impactent tous nos organes. Cette dimension est absolument nécessaire à chacun, y compris pour toutes celles et ceux qui vivent des situations extrêmes dans leur vie professionnelle, qui traversent le burn-out, le brown-out et le bore-out, les entrepreneurs qui ne passent pas l’épreuve de la perte de l'entreprise, qui plongent parfois dans le désespoir et la honte d’eux-mêmes, tous ceux à qui vient l’idée de leur inutilité.

Il est donc essentiel de savoir développer ce talent de pacification avec soi-même, pour trouver aussi la force de remédier à ses propres blessures, ses échecs, ses erreurs, ses travers. Le désamour de soi entraîne souvent une forme de jugement de cynisme appliqué à soi et à tous les autres… et revient ainsi à ne laisser aucune chance à l’autre en cas de défaillance, d’erreur ou de faute.

Accepter de ne pas être parfait, accepter sa défaillance momentanée pour ouvrir un autre espace de pensées et d’actions, c’est à cette nécessité que peut répondre l’auto-compassion. La sincère compassion pour autrui ne peut se manifester réellement que lorsque chacun a pu l’éprouver aussi sincèrement à son égard. Poser ce regard sur soi permet de se donner les forces pour une transformation car les personnes qui acceptent de voir et d’entendre la réalité de la douleur causée par les événements mettent en place une dynamique pour y faire face. Apprendre à être juste et bon avec soi-même est une des voies de la sagesse et de l’intelligence émotionnelle et collective. Il n’y a de force que parce qu’il y a de la fragilité, il n’y a de réussite que parce que nous connaissons l’échec. Les dualités nous font grandir par leur dynamique subtile.

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