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La plaque

Le 22 septembre dernier, au crépuscule, j’étais arrêté au troisième feu rouge de la via Melchiorre Gioia, à Milan, quand j’entends à ma gauche deux petits coups de klaxon, comme un appel. Je me tourne ; à mon flanc, une voiture de luxe. Au volant, un monsieur sur la quarantaine. Il me fait signe et abaisse la vitre de droite. J’ouvre la mienne. Et lui, avec une espèce de lassitude, comme on se débarrasse d’une corvée infligée par la civilité :

- Attention, vous avez perdu votre plaque, et vous avez une lanterne éteinte.

Je suis agacé, mais cela ne m’étonne pas. Mon vieil engin, la nuit je le laisse dans la rue : rien de plus facile que quelqu’un, en se rangeant ou en partant, ait provoqué le double dégât.

Là au feu rouge, naturellement je ne peux pas m’arrêter pour contrôler. Je le fais deux cents mètres plus loin, à peine la circulation me le permet. Bien.


La plaque est toujours là, et les deux lanternes sont allumées.

Alors c’était une plaisanterie. Mais le monsieur qui m’a averti n’avait absolument pas l’air d’un plaisantin. Et puis, dans quel but ? Évidemment, il avait mal vu.

Via Melchiorre Gioia, j’y passe presque tous les jours. Une semaine plus tard, je serai arrêté au même feu et je m’entendrai appeler par un klaxon, cette fois à droite.

Une camionnette. Le conducteur, un jeune homme en salopette, abaissera la vitre et me fera signe. J’ouvrirai moi aussi. Il me dira, avec un gentil sourire, comme s’il me plaignait :

- Attention, monsieur, vous avez perdu votre plaque. Et il n’y a qu’une lanterne d’allumée.

Je remercierai, les dents serrées, me demandant comment cette blague stupide est si à la mode dans les parages. Mais par scrupule je m’arrêterai après le croisement et je descendrai voir. Exact : la plaque a disparu, une des deux lanternes est en miettes.

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