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Le maître de sabre

Après moult tergiversations, le Samouraï se décide à aller consulter un maître de sabre pour parfaire son art. Il se rend à son dojo, le salue, mais reste silencieux. Malgré les questions et les encouragements du maître, il repart sans rien dire. Une semaine passe. Le maître de sabre se rend à la caserne du Samouraï :

- Ton envie, ton attitude m'ont convaincu. Parle, dis-moi.

- Je n'ose pas maître, qui suis-je pour pouvoir vous parler ?

- Tu es bien présomptueux...

- Vous voyez !

- ... si tu crois pouvoir juger à ma place de qui peut ou ne peut pas me parler. Si tu ne veux pas parler, prend ton sabre et rejoins-moi sur le tatami de mon dojo.

À chaque fois que le maître attaque le Samouraï, son assaut fait mouche, malgré les parades et les esquives du Samouraï.

- Maître, comment se fait-il que vous me touchiez ainsi systématiquement ? Suis-je si maladroit ?

- Non.

- Ou bien utilisez-vous une énergie mystérieuse ou un secret ancestral ?

- Non.

- Alors, quelle en est l'explication ?

- Enlève ton armure.

Le Samouraï enlève son armure.

- Esquive maintenant ?

Il y parvient.

- Que dois-je comprendre, maître ?

- Que tu es plus vulnérable avec ton armure que sans.

- Mais c'est impossible, c'est l'armure de mon père, qui la tenait de son père.

- Mon sabre n'en a que faire. Ton armure est trop lourde, elle te ralentit.

Le Samouraï à son tour essaie en vain de toucher le maître. Celui-ci ferme les yeux.

- Vas-y, touche-moi.

Le Samouraï essaie encore. Le Maître esquive l'assaut.

- Maître, c'est impossible, comment faîtes-vous ?

- A-t-on avis ?

- Une puissante magie ?

- Non.

- Je ne comprends pas.

- Prends ce boken.

Le Samouraï troque son sabre pour un sabre en bois.

- Touche-moi.

Le Samouraï frappe, le maître esquive, mais le samouraï le frôle.

- Je n'ai pas triché. Je ne t'ai pas laissé me toucher. Tu comprends ?

- Non.

- Ton problème c'est ton sabre.

- Le sabre ancestral de mon clan ?

- Qui coupe l'air avec un son bien à lui, qui m'indique d'où vient la frappe avec précision. Je vais te chercher un sabre, moins prestigieux et moins bavard.

Un jour, le maître de sabre fait assoir le Samouraï en zazen, au milieu du dojo, et s'assied en face de lui.

- Ton enseignement avec moi touche à sa fin.

- Mais maître, j'ai tellement à apprendre encore !

- Oui. Je t'envoie voir un moine zen qui enseigne aussi le sabre. Voici une lettre à lui transmettre.

- Mais je connais le zen. Je veux apprendre à me battre.

- Je sais que tu connais la lettre du zen, que tu as beaucoup lu. Toutes ces lumières accumulées t'aveuglent. Tu as beau être un expert dans l'âme humaine, tu ne te connais pas si bien que ça.

- Je ferai selon votre conseil, Maître. Une nouvelle fois merci.

Le Samouraï ôte ses gants comme à l'accoutumée. Le maître regarde ses mains.

- Mais, tu as les mains en sang ! s'exclame-t-il.

- Oui, maître, comme à chaque entrainement.

Le maître prend les mains du Samouraï, paume vers le sol. Il les tourne paume vers le ciel. Puis à nouveau paume vers le sol.

- Tu vois cette marque ?

- Oui

- Ce sont tes ongles, trop longs, qui te blessent. Un Samouraï n'a pas besoin de saigner des mains. Coupe ces ongles.

Le maître repris la parole :

- Essaie de voir au-delà de tes yeux.

- Mais je ne vois pas ce que vous voulez dire maître.

- Cherche bien.

- Je n'y arrive pas maître.

Le maître s'approche. Le samouraï se raidit, craignant d'être frappé. Le maître approche sa main, et soulève la mèche de cheveux du Samouraï.

-Vois-tu maintenant ce que je veux dire ?

Le maître demande :

- Comment sais-tu que tu es comme tu es ?

- J'ai examiné chaque recoin de mon esprit, avec courage et je pense lucidité.

- On ne peut pas se voir de dehors tout seul.

- Mais maître... et quand j’utilise un miroir ?

- Ton image reflétée par le miroir n'est pas l'image que je vois.

Un jour le Samouraï et le maître prennent le thé. Le maître prend la parole :

- Tu es si triste, Samouraï.

- Triste ? Moi ? Je ris tout le temps, je plaisante en permanence.

- Oui. Mais tu es si triste.

Le Samouraï marque une pause.

- En effet, je dois bien avouer que je sens un manque, une tristesse, une faille.

Le maître sourit.

- Nous allons la combler.

- C'est vrai ?

- Non. Tu es ce que tu es. Tu dois ouvrir ton œil intérieur vers toi-même.

Enfin, après de longs mois de pratique, le Samouraï arrive à méditer de longues heures par jour. Un jour, le maître le frappe au milieu de la méditation. Tout s'effondre. La lumière apparaît. Tout est clair.

- Je me sens comme un bébé, nu.

- Vas-y. Pars. Trace ta route maintenant.

- Comment vous remercier, maître ?

- Au bout de celle-ci il y aura peut-être un monastère, ou comme moi tu recevras des voyageurs comme toi.

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