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Le présent des oiseaux

Une mauvaise herbe arrachée ici, une branche recoupée là ; je ne travaille pas vraiment mais je me promène. Les genêts entourent les prés et leurs fleurs jaunes font crouler les branches fines. Les gens d’ici les regardent de haut :

- Des balais !


On n’a pas oublié à quelle humble tâche ils étaient destinés avant l’ouverture des supermarchés. Ils envahissent tout et ne sont bons qu’à allumer le feu l’hiver, mais aujourd’hui, ils sont l’éclat de soleil de cet été tout neuf.


Et les prés qui montent en pente douce vers la forêt de pins. Boutons d’or, petites fleurs bleues ou roses enchevêtrées dans l’herbe verte qui se pressent, s’étirent, se bousculent pour regarder le soleil, prendre un peu de place et s’épanouir, vite, vite, parce qu’il y a eu tant de neige, parce qu’il a fait si longtemps froid qu’il faut maintenant se rattraper et affirmer que la vie est là, multicolore, oublieuse de l’automne, se riant des hivers tout à la joie de cet instant.


Il est tôt et le chant des oiseaux emplit tout le ciel. Ils sont spécialement nombreux dans le coin aux oiseaux , là où se dresse le grand cerisier plein de cachettes où l’on peut un instant reprendre souffle et affirmer à pleine voix que la journée commence, qu’elle sera belle et que nul ne s’avise d’approcher trop près du nid. Juste en dessous, près des branches les plus basses, il y a le bassin d’eau vive, si commode pour boire à petits coups de bec délicats tout en jetant autour un œil attentif : il faut bien être toujours sur ses gardes lorsqu’on est petit et sans défense mais vif et rapide. Les jours de chaleur, on peut s’y asperger. Mode d’emploi : remplir son bec d’eau puis tourner la tête très vite, bec entrouvert, pour faire éclater les gouttes dans la lumière et se rafraîchir d’une petite douche. Et si l’instant est vraiment tranquille, sans même une ombre qui bouge, on se tapit dans le petit creux tout au bord où l’eau est peu profonde : bien installé, on gonfle toutes ses plumes, comme pour faire fuir le chat rôdeur, et on se trempe dans l’eau délicieusement fraîche.


De là, en un coup d’aile, à peine le temps de se sécher, hop ! sur la mangeoire toujours remplie de graines délicieuses. La vie est bien faite. Du perchoir, chaque oiseau peut échanger des regards, et peut-être des nouvelles avec le petit bouddha de pierre, niché sous le tronc du grand arbre, qui sourit paisiblement à toute cette agitation.


C’est que je les observe, ces petits habitants qui partagent la cour avec nous, rouges-gorges à l’air important, mésanges nonnettes trop gourmandes, si rondouillettes à force de graines qu’il semble toujours qu’elles vont avoir du mal à s’envoler ; et tous les autres, cachés dans les feuillages, dont les chants d’amour ou les cris de dispute nous égaient tous les jours. Je m’assois et je les regarde aller et venir, vivre leur vie d’oiseaux, vie de joie et de dangers, vie éphémère et menacée, toute dans l’instant présent.


Et vient une petite voix qui me dit :

- Et qu’est-ce que tu fais, assise là ? Est-ce qu’il n’y a pas sur le bureau toute une pile de dossiers et de courriers en retard qui attendent ? Est-ce qu’il n’y a pas du travail à terminer, des livres à lire, des plantations à biner, enfin quelque chose de sérieux à faire ?


Ce n’est pas sérieux de regarder les oiseaux ? Ce n’est pas sérieux d’admirer leur vie, leur joie et leur présence ? Doit-on vraiment courir d’une tâche à l’autre, être si occupé et ne plus rien voir de ce qui nous entoure ? Lâcher l’ordinateur pour attraper le portable ? Une vie utilitaire ?


Garder du temps pour la méditation, pour le silence et la contemplation, pour reconnaître les autres vies et s’en réjouir, au risque même d’un peu de négligence par-ci, de retard par-là, c’est la leçon du présent des oiseaux.

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