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Le yoga reconnecte le corps et le cerveau

Comment expliquer ce succès ?


Ce succès répond tout simplement à un besoin de notre époque. L’arrivée en force du yoga dans notre culture est le résultat d’une évolution entamée dès la fin des années 1960, avec le mouvement imprimé par les Beatles et leurs voyages en Inde. En France, cette première vague a pris au début dans les maisons des jeunes et de la culture et aux tout débuts du Club Med (eh oui !), sous la houlette de son créateur Gérard Blitz, qui était un grand pratiquant et l’a implanté dans tous ses centres. Toutes celles et ceux qui le pratiquaient pendant leurs vacances continuaient en rentrant chez eux.


A suivi, au cours des années 2000, un boom du yoga aux États-Unis, avant un retour en France en 2007. Parallèlement, le mouvement a eu un très fort succès en Asie (en Chine, notamment), alors qu’il venait d’Inde. Pourquoi ce succès planétaire ? Il venait compenser une perte de repères des individus au tournant du millénaire.


Nous n’avons plus les certitudes d’autrefois. La religion, la vision classique du monde avec la famille, les institutions… Tout cela a fait place à une accélération des rythmes de vie et bien souvent, devant cet effacement des repères traditionnels de la société, nous nous raccrochons à ce qui est "'soi". Et cela commence par le corps. Vers la fin du XX siècle, on commence à accorder beaucoup d’importance à la santé du corps, au bien-être… Des préoccupations qui n’étaient pas celles d’autrefois...


Le corps, est-ce le "soi" ?


En partie. La culture occidentale a séparé le corps et l’esprit sous l’influence de la pensée dualiste de Descartes, mais bien avant, dans la tradition chrétienne, l’esprit et le corps sont déjà bien distincts. Or, le yoga, par son sens originaire même, signifie "ce qui relie". C’est ce qui relie le corps et l’esprit, mais aussi l’individu et le monde. Le lien entre corps et esprit prend aujourd’hui son sens à la lumière des connaissances acquises en physiologie et en psychologie. Le courant de recherches sur la cognition incarnée montre que les actions du corps conditionnent en grande partie nos émotions et nos pensées. Par exemple, quand on amène une personne à réaliser à son insu des mouvements du visage qui ressemblent à un sourire, elle liste ensuite plus d’émotions positives sur une feuille de papier. Les contractions musculaires et les commandes motrices sont connectées aux centres limbiques des émotions dans le cerveau. Vouloir séparer les deux est artificiel, et le yoga table justement sur cette connexion pour moduler le contenu mental en agissant sur les postures corporelles.


Concrètement, comment cela se passe-t-il ?


Le pratiquant va travailler différentes postures, en adaptant la respiration selon les circonstances, en général en l’allongeant, et en prenant conscience du mouvement des pensées, des émotions, tout en restant attentif aux ressentis du corps. Tout le principe de la pratique repose sur le fait que le cerveau et le corps sont en interconnexion permanente. Ce que je ressens dans mon corps influe sur ce que je pense. Et donc, si je peux agir sur mon corps, je peux aussi influer sur le reste. Par exemple, si je ressens une crispation, une oppression thoracique, si j’ai le ventre crispé, les mâchoires serrées, ces tensions sont captées par certaines aires du cerveau et répercutées sur le système des émotions. Dès lors, une fois que les émotions prennent le pouvoir, les pensées surviennent et sont colorées par ces dernières.


Au contraire, si je me place dans un état de décontraction et de relaxation, où je suis détendu musculairement, je ressens des émotions positives associées. Mon organisme sécrète moins de cortisol, l’hormone du stress, et une dynamique différente se met en place.


L’idée, on l’a compris, est ici de piéger les tensions corporelles et de les éliminer, au moyen de contractions et d’étirements. Mais il faut toujours veiller à ce que ce travail soit accompagné d’une respiration adéquate, profonde, en phase avec les mouvements.


Chaque posture a-t-elle un effet différent sur le mental ?


Indéniablement. Mais cela dépend aussi du ressenti de chaque pratiquant. Il y a des postures de redressement, et d’autres dites "de fermeture". Par exemple, se mettre en boule, en position dite "de l’enfant", aide souvent les pratiquants qui le souhaitent à se sentir en sécurité.


Les postures verticales associent la confiance et le lâcher-prise vis-à-vis des cognitions négatives, comme l’angoisse ou la colère. De façon générale, les postures d’équilibre (par exemple, l’arbre, où l’on se tient debout sur un pied, mains jointes au-dessus de la tête avec une jambe repliée contre l’autre) sont des attitudes extraordinaires pour développer les cognitions positives car elles développent la confiance et l’assise (asana, en sanskrit). Elles obligent le corps à corriger sans cesse les petits déséquilibres, et ont un impact direct sur une molécule appelée "facteur de croissance neuronal", qui stimule la neuroplasticité.


Quelles modifications physiologiques entraînent ces postures ?


Ces effets ont commencé à être étudiés il y a maintenant un siècle par un médecin indien du nom de Gune. Il était un ardent défenseur de l’indépendance de l’Inde et voulait redorer le blason de la culture indienne : il a créé en ce sens le premier laboratoire indépendant d’études du yoga. Ses travaux ont mis en évidence l’effet stimulant du système parasympathique. Le système neurovégétatif régule les fonctions vitales comme la respiration, la digestion ou les battements cardiaques, tout comme le système immunitaire et certaines fonctions du cerveau. Il est composé d’un sous-système excitateur, le sympathique, et d’un autre apaisant et ralentisseur, le parasympathique.


Le point important est que les systèmes sympathique et parasympathique s’équilibrent. En situation de stress, le sympathique entre en action, le corps se tend et se mobilise pour l’action. Mais il faut aussi des phases de récupération et de calme, et c’est là qu’intervient le système parasympathique. Il arrive, chez certaines personnes à certains moments de leur vie, que le niveau d’activité de ce dernier fléchisse. L’individu entre alors dans un état de dépense inutile d’énergie, d’hypervigilance, qui conduit à un épuisement accéléré et finalement à une fatigue et un abattement consécutifs. Or, les postures du yoga ont pour effet de réactiver le système parasympathique et de permettre un retour au calme. C’est autant la posture que le souffle qui produisent cet effet. À ce titre, la façon de respirer est fondamentale. L’inspiration et l’expiration doivent être synchronisées avec les mouvements, et s’exécuter avec lenteur. Certaines postures sont difficiles à exécuter, mais, à condition de réaliser les mouvements et de respirer lentement, calmement, de façon synchrone, tout le monde ou presque peut y parvenir. Depuis deux mille ans, le yoga s’est enrichi d’un travail sur la respiration à un point qui n’a sans doute jamais été égalé dans aucune autre tradition. Or le souffle est à la base de toutes les techniques de gestion du stress. C’est ce qui permet de gérer l’anxiété ou les attaques de panique, notamment.


Comment le yoga traite-t-il l’anxiété et les attaques de panique ?


Tout repose sur la prise de conscience de ses propres émotions et sur une capacité à agir dessus. Ce sont d’ailleurs deux importants volets de ce qu’on appelle "l’intelligence émotionnelle" : dès lors que l’on peut observer ce qui se passe dans son corps (se dire : Là, j’ai peur ; là, je suis en colère, ou triste, ou effrayé) et que l’on est en mesure d’agir sur ces émotions, on est armé pour se tirer de bien des mauvais pas. La pratique du yoga permet justement d’agir sur ses propres émotions à l’aide de certains types de respirations ou de certaines postures bien choisies. En les utilisant à bon escient, il est possible de se libérer d’états émotionnels tyranniques.


C’est important, car certaines souffrances psychiques sont précisément la conséquence de troubles émotionnels : c’est le cas de l’anxiété qui résulte d’une mauvaise gestion de la peur, et des attaques de panique qui représentent une forme ultime de l’anxiété. L’anxiété est liée, physiologiquement, à une hyperventilation. Ces réactions corporelles sont en soi angoissantes parce que le sujet a peur à tout instant que son corps lui échappe. Au contraire, en ré-apprivoisant sa respiration, on se réapproprie les réactions de son propre corps, celui-ci n’est plus perçu comme cet objet anxiogène qui nous échappe. Cette démarche de réappropriation redonne confiance en soi, ce qui diminue la peur de faire une attaque. C’est le début de la guérison. Cela vaut pour toutes les formes d’anxiété -anxiété sociale, anxiété de performance- et pour les troubles du stress post-traumatique.


Le trouble du stress post-traumatique est pourtant une pathologie très ancrée au niveau cérébral : comment le yoga peut-il le réduire ?


Le stress post-traumatique est marqué par des intrusions émotionnelles incontrôlables. Un cortège d’émotions négatives très puissantes ont été mises en relation dans le cerveau du sujet, avec une situation et un contexte où s’est produit le traumatisme originel. Dès lors, tout élément qui rappelle ce contexte va re-déclencher l’émotion. On sait ainsi que la résurgence de l’image traumatique provoque le ressenti émotionnel automatique. Il en résulte un sentiment d’insécurité car le patient se trouve d’un seul coup face à un événement très douloureux qui se déroule en temps réel dans sa tête, ou dont il pressent qu’il va faire irruption. L’insécurité conduit à un réflexe de figement, souvent accompagné d’un sentiment d’isolement et de culpabilité.


Il y a donc un blocage à la fois dans le cerveau et dans le corps. Or, pour revenir au yoga, on constate que le simple fait de faire deux ou trois séances par semaine modifie le ressenti corporel. Le patient sort du réflexe de figement et peut enfin découpler son émotion du contexte du trauma. Concrètement, il apprend à utiliser son corps pour favoriser d’autres ressentis émotionnels que la peur, de sorte qu’il pourra mobiliser ce nouveau ressenti émotionnel dans les situations où la mémoire traumatique refera surface. Le but est d’être plus libre. Souvent on se fait toute une montagne sur ce que signifie le fait d’être plus libre. Mais c’est ni plus ni moins que de ne pas être esclave de son passé, de ces ancrages qui nous font réagir de façon inappropriée.


Découpler l’image traumatique du ressenti émotionnel est également un ingrédient des thérapies cognitivo-comportementales (TCC) pour le traitement des traumas. Le yoga s’en inspire-t-il ?


En yogathérapie, il n’est pas rare d’utiliser des éléments de TCC. Il s’agit tout simplement de réactiver les circuits traumatiques (en pensant à la situation traumatisante), mais en changeant la sensation du corps qui y est associée, et donc en modifiant le conditionnement. Si vous avez vécu un traumatisme comme un accident de voiture, réactiver ce souvenir alors que vous faites la posture de yoga de l’arbre, qui insuffle dynamisme et confiance, commencera à façonner un nouveau conditionnement, moins coloré négativement, qui déconstruit le conditionnement traumatique. On dispose aujourd’hui de très nombreuses études montrant que cette méthode est efficace.


La morale de l’histoire est toujours la même : le yoga relie. Il reconnecte le corps et l’émotion, le corps et les pensées, finalement… le corps et le cerveau. De façon générale, tout ce qui agit sur le corps est susceptible de refaçonner les liens entre certaines pensées et certaines émotions.


On parle aussi des effets du yoga sur la dépression. Sont-ils avérés ?


Les méta-analyses sur ce sujet sont clairement en faveur de l’utilisation du yoga contre la dépression. Les scores dépressifs baissent significativement au bout de six semaines de pratique. Pour comprendre comment cela fonctionne, il faut garder à l’esprit que la dépression est principalement caractérisée par une fatigue immense, accompagnée d’une dévalorisation de soi, de pensées culpabilisantes et de troubles cognitifs.


L’émotion de tristesse, si présente chez le patient dépressif, a un corrélat corporel : visage tiré, yeux qui piquent, sentiment de poids sur les épaules, souffle coupé, vide dans le corps, jambes coupées, bras qui tombent… Et, évidemment, lorsqu’on se trouve dans cet état, on est plutôt mal dans sa peau et l’on ressent une vraie douleur physique. Naturellement, les pensées correspondent alors à ce ressenti : mon corps est faible, mou, et moi-même je suis nul. Face à cette donnée, le thérapeute va travailler avec le patient sur des postures qui vont contrecarrer ces tendances corporelles. Rapidement, le patient va sentir ses épaules plus légères, de l’air aller et venir dans son corps, celui-ci va devenir plus tonique, et tous ces messages proprioceptifs, tactiles, musculaires, endocrines, vont remonter vers les zones émotionnelles du cerveau pour dire au sujet : Tu vois, tu es bien dans ton corps, et ainsi tes pensées deviennent moins pénibles.


Quelles postures sont conseillées dans ce cas ?


Pour la dépression, les postures de redressement (typiquement, la posture de l’arbre) sont particulièrement efficaces parce qu’elles augmentent la confiance. Il est intéressant aussi de pratiquer des inspirations et suspensions du souffle à plein (on garde les poumons remplis pendant plusieurs secondes), car il a été démontré que cela libère un neurotransmetteur issu du tronc cérébral, la noradrénaline, qui stimule la vigilance, l’attention aux stimuli nouveaux et l’apprentissage, mais aussi la sensation de plaisir et de confiance en soi.


Pour les phobies, le principe est le même ?


Le traitement des phobies est un peu plus compliqué et un peu plus long. Il faut tout d’abord faire un repérage des pensées irrationnelles. Par exemple, bien noter qu’on ne supporte pas l’idée de croiser la route d’un pigeon dans la rue, ou de mettre le pied dans un ascenseur, et reconnaître que c’est en grande partie irrationnel. Ensuite a lieu une approche progressive de déconditionnement. Le principe consiste à visualiser les situations typiques qui provoquent la réaction phobique, tout en pratiquant des postures ou des respirations qui induisent plutôt un état de calme physiologique dans le corps. Mais je vous dirais qu’un principe similaire est à l’œuvre dans la prise en charge des addictions en yogathérapie : il s’agit cette fois de changer sa relation à son propre besoin ou sa propre envie. Prenez un fumeur qui cherche à arrêter la cigarette. Il sait qu’à certains moments, son corps commence à entrer dans un état de tension interne et de nervosité qui fait monter le besoin, et que bien souvent c’est alors le signe qu’il va craquer. Le travail en yogathérapie commence par repérer ces états internes de tension, pour y opposer, par le biais de postures bien précises, un ressenti de calme qui change le rapport du patient à son besoin et à son envie du moment.


En ce qui concerne les maladies neurodégénératives, note-t-on des effets protecteurs du yoga ?


La protection contre le déclin cognitif est en effet bien mesurée en épidémiologie. Cela passe principalement par les postures d’équilibre comme l’arbre ou le poirier : en effet, ces postures stimulent la production du facteur de croissance neuronal, un véritable engrais pour nos neurones, qui favorise la formation de nouvelles synapses dans les situations nouvelles, renforce la mémoire et l’attention, et protège contre le vieillissement cérébral. En outre, une vaste étude réalisée sur des patients pratiquant le yoga ou la méditation, a mis en évidence dans les deux cas un effet protecteur sur les extrémités des chromosomes, qui ont tendance à s’éroder avec l’âge, ce qui est un signe de ralentissement des processus de vieillissement dans le corps. Des effets positifs ont aussi été bien documentés sur la maladie de Parkinson, qui se traduit par une réduction des noyaux gris centraux régulateurs de l’équilibre : le yoga met justement à contribution tous ces systèmes de maintien de l’équilibre corporel, et atténue cette dégradation.


Diriez-vous que nos modes de vie nous ont déconnectés de notre corps, et donc de nos émotions ?


Il y a un fait marquant à propos du yoga : il fait du bien pour toute une série de souffrances "civilisationnelles". Obésité, diabète, hypertension, athérome, neurodégénérescences, troubles auto-immuns… Ces maladies en grande partie liées à nos modes de vie ont pour point commun d’être des maladies dites inflammatoires : la mauvaise hygiène de vie, ou le stress chronique, contribuent à augmenter les taux de molécules inflammatoires dans le corps. Or la pratique du yoga, avec son action forte sur le système parasympathique, entraîne un puissant effet anti-inflammatoire qui va lutter précisément contre ces pathologies. Après douze semaines, de pratique les constantes inflammatoires baissent. Avec des effets sur les douleurs chroniques, notamment ostéoarticulaires, les lombalgies, les céphalées, la migraine, la fibromyalgie ou les neuropathies. Le yoga n’est toutefois pas une panacée : dans certains cas, il produit des effets très puissants, dans d’autres il faut reconnaître que les médicaments ou d’autres approches thérapeutiques complémentaires sont nécessaires. Simplement, il nous montre que reconnecter le corps et l’esprit peut avoir des effets bénéfiques extrêmement puissants.


C’est un peu ce que propose aussi, d’une certaine façon, la méditation.


À l’origine, le yoga est de la méditation. Il y a trois mille ans, c’était même une philosophie pure, qui incluait une forte composante éthique. Et si vous regardez aujourd’hui les différences entre le yoga et la méditation, elles sont infimes. Tout comme le yoga, la méditation inclut le corps, et sans se dissocier de lui, invite à l’occuper pleinement.


De même, le but des Yoga Sūtras (les textes qui constituent le fil conducteur du yoga) est l’apaisement de l’agitation du mental, ce qui est également l’objectif de la méditation. C’est la mise au repos des pensées troublées et des émotions perturbantes. Dans la méditation, le travail sur la respiration et sur la pleine conscience a pour fonction de maintenir un état de calme et de paix, même quand des pensées ou souvenirs désagréables surviennent. Il s’agit donc de créer un ancrage paisible des pensées. C’est aussi ce que propose le yoga, mais en y ajoutant une composante corporelle. Avec, en prime, la possibilité de créer des associations de certaines postures à certaines pensées… De fait, dans les cours, on voit que les gens ancrent (associent fermement) certains souvenirs et représentations mentales avec certaines positions du corps. En quelque sorte, ils cartographient leur monde intérieur. Prendre une posture donnée suffit alors souvent à se re-projeter vers un ressenti et un pan de sa propre vie intérieure.


L’intérêt majeur est que le lieu du refuge est le corps propre. Et dès qu’on sait quelle posture nous apaise, on peut y revenir.

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