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Pourquoi avons-nous besoin de héros ?

Le héros sacrifie tout pour les valeurs qu'il défend. Il remonte le moral et soude le groupe. Mais son rôle est-il pour autant toujours positif ?


Qu'est-ce qu'un héros ? Un personnage exceptionnel par son courage plus que par sa réussite (c'est la différence avec un entrepreneur), et par ses actes plus que par ses œuvres (c'est la différence avec un génie). Il est un être humain (s'il était un dieu ou un demi-dieu, il aurait moins de mérite…) bien plus fort que nous et que nos semblables, capable d'accomplir des actions hors de portée des autres hommes. Il existe des héros victorieux et des perdants héroïques : le héros n'est pas assigné à la réussite, mais au courage ou au sacrifice. Car, comme le saint, il est prêt à sacrifier son confort, son bonheur et sa vie aux valeurs qu'il défend (justice, honneur, liberté…).


Mais au-delà des combats qu'il mène en pleine lumière, à quoi sert un héros dans les coulisses de notre esprit ? Le psychiatre Boris Cyrulnik se pose cette question et rappelle qu'on retrouve des héros à la naissance de toute culture humaine. Il cite l'écrivain René Étiemble : L'épopée qui relate des destins héroïques apparaît à l'aube historique lorsqu'un groupe prend conscience de lui-même, crée ses modèles et se célèbre à travers eux. De fait, il n'y a de héros que lorsqu'il y a héroïsation par les récits culturels.


L'Histoire regorge de héros authentiques dont le courage n'a jamais été reconnu officiellement : ils n'auront été que des humains courageux, tombés dans l'oubli. Cyrulnik raconte ainsi la vie de Chérif Mécheri, français d'origine algérienne et préfet de Limoges durant l'Occupation, s'insurgeant contre les violences de l'armée allemande, protégeant les Juifs, refusant les compromissions avec l'occupant et les antisémites, et qui finit assassiné par la Milice ; son histoire est quasi inconnue du grand public, car il n'a jamais été héroïsé. À l'inverse, l'Histoire est remplie de héros contestables, comme l'est aux États-Unis le général Custer, qui conduisit pourtant, par orgueil et aveuglement, tout son corps d'armée au massacre face à une coalition indienne.


Les héros sont ainsi construits et chéris par leurs groupes sociaux d'appartenance, car ils y jouent une fonction importante. Qui est souvent de remonter le moral des individus et de forger une identité au collectif. C'est pourquoi on a besoin des héros dans l'adversité et la difficulté.


Forger une identité au groupe


Vercingétorix, par exemple, chef gaulois vaincu par César, devint un des héros du panthéon républicain après la cuisante défaite de 1870 face à l'Allemagne : la Troisième République naissante avait besoin d'héroïser un glorieux vaincu, à son image… En temps de paix, les héros ont moins de possibilités de faire carrière et sont moins indispensables. Nous nous contentons alors de stars : celles-ci ne font rien d'héroïque, mais réussissent dans leur boulot, qu'il s'agisse de sportifs, de chanteurs, d'acteurs de cinéma ou d'entrepreneurs ; elles ne sauvent personne, sauf de l'ennui, et encore…


Mais une autre question peut, et doit, être posée à propos des héros : peuvent-ils jouer un rôle négatif ? C'est ce que suggère Cyrulnik : Dites-moi quels sont vos héros, je vous dirai de quoi vous souffrez. En effet, le premier problème qu'engendrent parfois les héros, c'est le choix de leurs idéaux, s'ils sont par exemple ceux d'une totale pureté raciale ou d'une soumission religieuse du plus grand nombre. Hitler était un héros pour une partie du peuple allemand. Et l'ennui, c'est qu'un héros, on le suit, de près ou de loin ! Au minimum, on approuve ses actions, on s'identifie à lui ; au maximum, on essaye de lui ressembler, de l'imiter, et on lui obéit aveuglément…


Un autre problème est celui des moyens nécessaires pour conduire une épopée héroïque : un héros affronte de grands dangers, donc il ne doit pas hésiter à utiliser de grands moyens, comme de recourir à la violence extrême. Enfin, un dernier danger lié à l'héroïsation, c'est que le héros a pour mission de défendre ou de relever l'honneur de son groupe social ou culturel d'appartenance. Pour ce faire, il doit désigner des adversaires, des ennemis, ne partageant pas les mêmes valeurs. Un héros n'est héros que pour un groupe humain bien précis, il n'est pas universel. Lorsqu'un peuple ou un groupe culturel est vaincu ou se sent humilié, le risque est grand qu'il aspire à avoir des héros le représentant et le vengeant.


En raison de tous ces risques liés à une valorisation excessive des héros, l'historien Todorov, dans son ouvrage Les Insoumis, préfère célébrer les personnes qu'il nomme des insoumis, et dont il décrit les caractéristiques : ces individus ne cherchent pas à être des héros, mais refusent de se soumettre à ce que leur morale réprouve ; et ils sont réticents à désigner des ennemis, mais s'attachent seulement à dénoncer, à nommer le mal en cause et à le combattre.


Les héros modernes, insoumis, doivent être protégés


Moins héroïques, plus humains, les insoumis sont pour Todorov les nouveaux modèles à admirer et à suivre. Mais aussi à protéger : refusant de recourir à la violence, ces personnes sont exposées aux rétorsions agressives de ceux contre qui elles se dressent. C'est le cas dans les affaires Wikileaks et Luxleaks. Les lanceurs d'alerte qui ont dénoncé ces abus et malversations politiques ou financières se trouvent dans une position difficile, car menacés non pas de mort mais d'autres risques bien réels : procès interminables, ruine et prison.


Le pire que l'on puisse légalement infliger à quelqu'un en démocratie. En temps de paix, méfions-nous donc des héros et protégeons les insoumis…


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