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Catherine

Saint-Valentin : quelques mots valent mieux qu’une rose rouge

17h50, la nuit est tombée déjà. Vous marchez d’un pas pressé, lisant sur votre téléphone le dernier mail du collègue qui vient d’arriver, vite répondre mais arriver à l’école avant que les portes ne ferment, sans quoi vous friserez le "parent défectueux". Le nez sur votre écran, vous remarquez quand même une file d’attente insensée d’hommes devant la vitrine du fleuriste. C’est la Saint-Valentin !


Pas de panique.


Il suffit peut-être de quelques minutes et de quelques mots, pour, ce soir, lui faire de nouveau ressentir votre amour. Le langage ne sert pas seulement à échanger des informations (c’est bon, je serai à l’heure à la sortie de l’école). Sa fonction n’est pas que fonctionnelle, ou référentielle (décrire le monde qui nous est extérieur). Elle est aussi expressive. Les mots seuls donnent accès à nos vies intimes, donnent vie à nos sentiments. Encore mieux qu’avec une rose rouge.


De loup à loulou, chouchou doudou et minou


Voilà 10 ans, 20 ans que vous vivez avec chouchou, doudou ou minou. Vous vous adressez l’un à l’autre comme vous vous adressez à vos enfants. C'est l'autre familier, adorable et vulnérable, qui ne vous la fait plus, que retrouvez avec satisfaction le soir non loin de vos chaussons.


L’autre n’est plus son soi autre, celui que vous rencontrâtes un soir d’été, sur cette plage de Picardie, alors qu’un vent de folie douce secouait vos cheveux, que votre corps embrasé fondait de désir, que vous croquiez à pleines dents le maquereau tout juste péché, encore frétillant d’eau de mer. Alors son prénom, fut-il Georges ou Simone, mettait le feu à votre imaginaire, alors vous traciez de la pointe de votre doigt de pied nu dans le sable mouillé un G comme J’ai envie de toi ou un S comme serre-moi dans tes bras.


Au début d’une romance, le nom propre de l’autre est une porte ouverte sur un monde imaginaire. Comme tous les noms propres, il ne décrit aucunement le référent qu’il désigne, son sens est purement dénominatif ; libre à nous de fantasmer à son propos.


Mais le temps passe, c’est ce qu’il fait. L’être de vos rêves est devenu objet de connaissance conjugale. Or, la connaissance conjugale qu’on a des gens, c’est peut‐être la pire de toutes. Si son prénom franchit vos lèvres aujourd’hui, c’est quand elles se pincent : enfin, George ou Simone, combien de fois je t’ai dit de ne pas prendre cette marque de maquereaux, les enfants n’aiment pas.


Le reste du temps, vous baignez dans le bain tiède et mousseux de l’amour-doudou, et vos mots portent l’empreinte de cette pulsion de re-baptême propre à l’amour : "Appelle-moi amour, et je me rebaptise !", crie Roméo à Juliette dans la pièce de Shakespeare.


Votre langage commun est un code qui décline toutes les marques d’une expressivité ronronnante, douce et tendre ; redoublement de syllabe, doudou, loulou, bibiche, tel Louis de Funès gagatisant auprès de Claude Gensac dans la série des Gendarmes ; suffixes mignons : autant de mots-caresses qui prolifèrent dans nos vocatifs.


Tous ces petits noms crient notre besoin de réassurance, notre pulsion d’appropriation de l’être aimé. C'est "vouloir saisir".


Les métaphores animalières sont un autre exemple de transfiguration caressante et réductrice. Dans votre appartement défilent toutes sortes d’animaux de petite taille et à poils doux, chat, lapin, souris ou belette, parfois on ne sait pas qui parle à qui et de quoi ou de qui il s’agit. De la peluche, de l’enfant, du chat qui ne se nourrit pas que d’amour mais aussi de croquettes. De l’adulte que vous êtes pourtant. Que vous fûtes. Qui sut, autrefois, être cet être de braise, désirant comme un fou, comme un loup à la gueule pleine de salive. Avant qu’il ne devienne loulou.


Et si ce soir, vous faisiez exception ?


Et si ce soir, vous élargissiez l’espace-temps, si vous alliez chercher au fond de vos tripes quelques sons âpres et sauvages, si vous alliez réveiller la bête qui sommeille en vous ? Si en quelques mots, jetés sur un bout de papier, vous poussiez de nouveau, ne serait-ce qu’une seconde, le cri du loup, de la louve ? Si vous faisiez re-bouger, reparler l’amour ? Car, avant d’en venir au mot, il faut aller puiser en soi la motivation : cet élan qui jaillit de l’émotion, de la mise en mouvement du sentiment. Il faut relancer le cycle émotion-sentiment. Pour pouvoir dire "je t’aime", encore faut-il se donner les moyens, le temps, de faire venir à soi l’envie de le dire.


Un papier, un crayon. 10 min quelque part, où l’on ne vous dérange pas. Dans la salle de bains, aux toilettes, sur un siège de métro. 10 min pour repenser à l’autre, comme quelqu’un de réellement autre. Repenser la relation, pour que vos mots la refaçonnent. Parce que le langage modèle aussi vos désirs, les siens, la façon dont vous percevez le lien amoureux et dont les autres le perçoivent. Penser à cette personne qu’est l’autre quand vous n’êtes pas là. A tout ce qui vous échappe, qui est la plus grande partie de sa journée. Quand les chaussons ne sont pas sur ses pieds. Quand elle est cet être qui vous inspira ce désir fou de rester avec lui. Qui vous fit formuler peut-être ces mots insensés, les promesses d’éternité, je t’aimerai toujours, d’exclusivité, je ne veux personne d’autre que toi.


Pourquoi, comment les avez-vous ressentis, ces mots d’éternité ? Quelle évidence vous submergeait alors ? Quel geste avait-il donc, cet être que vous aimez encore, qui vous bouleversait ? Quel rire, quel sourire, quel mot, quelle attention vous touchait en plein cœur, vous foudroyant d’amour ?


C’est le moment de replonger dans vos émotions d’amour intense. Qu’elles remontent à la surface. Elles sont là, pas loin, tapies au fond de vous. La vie en a fait ce tapis sur lequel vous évoluez. Un tapis élimé, un peu terne et poussiéreux, dont les couleurs, tapées par le temps qui passe et les semelles de vos chaussures, ne demandent qu’un peu de votre attention pour revenir à la vie. Un peu de votre énergie.


L’émotion amoureuse est une énergie renouvelable par la parole. Qui demande parfois, quand on n’est pas en plein shoot d’une nouvelle romance, qu’on suspende la vie courante pour en ressentir le flux. Pour en écouter battre le cœur. Parfois même il faut se mettre à quatre pattes sur le tapis. Le brosser follement, le suspendre par la fenêtre et le battre avec violence pour que s’envolent enfin les moutons de poussière.


Alchimistes de l’amour


Alors, à travers les particules qui flottent dans l’air, un rayon de soleil peut venir se poser sur votre tapis d’amour. En raviver les couleurs.


Vous aimez toujours.


Vous l’aimez depuis tant de temps !


Cela, déjà, est un cri d’amour. Un cri de jouissance. La jouissance ne se dit pas ; mais elle parle et elle dit : je-t’-aime. Vous, deux, ensemble, avez vaincu le temps.


Vos promesses d’éternité, dont ne vous ressentez peut-être plus l’urgence, qui ne vous tordent plus le ventre, vous les vivez. Les toujours de vos débuts sont votre quotidien, vos matins, vos après-midis, vos soirs.


Vous avez, alchimistes de l’amour, transmué un rêve (faire durer l’amour) en une réalité : un lieu, rempli d’objets, de bruits, d’images, d’être vivants. Autant d’émanations, de produits dérivés de votre amour. Dans ce décor, qu’est-ce qui vous fait vibrer ? Vous mets en colère ? Vous remue le plus ? Le sentiment amoureux n’est pas aussi lisse que vos petits noms le laisseraient croire, il est aussi fait d’ombres, de peur, de manque, il cristallise votre monde intérieur, le trouble de vos expériences. Laissez le sentiment venir perturber votre langue.


Votre doudou l’est-il devenu parce qu’il est l’être qui vous console le mieux, parce que vous aimez dormir avec, parce que sa peau est douce, parce que son regard est comme une caresse ? Ou aussi, parce que vous avez besoin de le triturer, de l’empocher, de le piétiner, et parfois même, de l’oublier ?


Décrivez-lui.


Encore une ligne, peut-être. 4 mots. Que vous l’aimez toujours. Vous l’aimez, cet être sauvage que vous avez apprivoisé. Par amour, rappelez-vous d’où il vient. D’où vous venez tous les deux. Du bois. D’un ailleurs. D’une plage, peut-être, de Picardie. D’un bar, enfumé, de Paris. De votre jeunesse. De vos espoirs. De votre courage.


En esprit, quittez un moment la familiarité du couple. Ne serait-ce que pour en apprécier le cocon, en souligner la douceur, dire comment ses contours vous protègent, que vous vous y sentez bien, pourquoi il est précieux. Dites que l’amour fait l’étoffe de votre bonheur. Qu’il est dans ce tapis, ou peut-être, dans le ciel.


Envisagez ce fait : le couple que vous formiez aurait pu ne pas être. Demain, il pourrait ne plus être. Aujourd’hui, il est.


En quoi est-ce joyeux ? Dites-le.


En quoi est-ce une bonne nouvelle ? Défaites l’habitude de vos mots communs, appelez-le de nouveau Georges ou Simone, confrontez l’adulte, l’étranger à quoi la vie peut toujours le rappeler.


Faites l’effort de penser le danger. Pour faire venir la lumière. Et ressentir de nouveau la nécessité des mots de l’amour.


Pourquoi le ou la désirez-vous encore ? Toujours, malgré tout ? Quel son, quelle odeur, quelle partie de son corps, quel défaut de son élocution, quelle fragilité vous retient ? Quelle ombre sur son visage ? Quelle ride nouvelle ? Vous êtes la seule personne capable de décrire ce que le temps fait à l’être que vous aimez.


Les mots d’amour naissent de l’émotion, qu’ils alimentent et décuplent en retour. Ils la font exister. Mieux que tous les objets, que toutes les roses, ils activent notre imaginaire. Les mots font l’amour.


Ce soir, dites-lui avec vos mots comment vous l’aimez. Encore. Aucune déclaration n’épuisera la lumière diffuse, ténue et tenace, d’un amour qui dure.

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